September 13, 2024

Déploiement d’un réseau télécom: droits et devoirs de chacun

Entre l’opérateur, le propriétaire et le gestionnaire de voiries, qui peut ou doit faire quoi ?
Le déploiement des réseaux de télécommunications est essentiel pour le développement des infrastructures numériques d'un pays et ce, au bénéfice de tous. Notre pays est à la traine par rapport aux autres pays européens, avec 25% des ménages raccordés à la fibre optique contre une moyenne européenne de 64%[1]. Pour encadrer sereinement ce déploiement, les textes de lois instituent une collaboration entre les parties avec des droits et des devoirs pour chacun. Qui peut ou doit faire quoi ? Quelques réponses avec Julie Van Langendijck, collaboratrice juridique au SPW.
Si vous êtes un opérateur…
Notification et consultation
Mes droits. La loi du 21 mars 1991[2], consacre deux droits essentiels des opérateurs, à savoir d’une part l’accès au domaine public et aux propriétés privées pour y installer, entretenir et réparer les équipements nécessaires à leurs réseaux et d’autre part, des servitudes légales tant sur le domaine public que sur les propriétés privées, leur permettant d’établir le passage des câbles et l'installation d'équipements de télécommunications. 
Mes obligations. Avant de commencer les travaux, les opérateurs doivent requérir les autorisations auprès du gestionnaire de voiries. En Wallonie, l’échange d’informations et la gestion de chantiers sur le domaine public s’organisent via la plateforme POWALCO. 

Les propriétaires sont quant à eux avertis des futurs travaux, par une lettre toutes-boîtes, mentionnant un délai raisonnable (Unifiber applique un délai de 10 jours ouvrables) endéans lequel toute question ou remarque peut être émise. 

Jie-Nan Feytens

Legal counsel de Unifiber

En préparation des périodes électorales, les opérateurs font souvent face à un refus catégorique de la part des gestionnaires de voiries quant à l’exécution d’un chantier. Est-ce que les opérateurs ont ici un recours à leur disposition face à cette situation ? Cela pourrait-il être considéré comme un refus légitime/dûment justifié ?
Dès l’instant où, une demande d’autorisation d’exécution de chantier est dûment introduite sur la plateforme POWALCO, auprès du gestionnaire de voiries (GDV) compétent, celui-ci dispose de 30 jours pour y répondre. 
En vertu de l’article 24 §2 du décret impétrants, seuls des motifs de sécurité, viabilité, salubrité et mobilité peuvent justifier un refus d’autorisation. La période électorale n’est pas un motif valable de refus… 
Néanmoins, il est prévu, en cas de refus de délivrance d’une autorisation ou en cas d’absence de réponse, la possibilité pour le demandeur d’autorisation d’introduire un recours auprès de la Commission de coordination des chantiers. 

Respect du principe du pristin état et des propriétés
Mes obligations. Les opérateurs doivent remettre le domaine public dans son pristin état. Ils doivent minimiser les impacts sur les propriétés privées. Il est notamment de bon usage pour un opérateur, de placer son câble là où se trouve un câble existant (sous réserve des espaces de sécurité, le cas échéant).
Mes droits. En Wallonie, les prescriptions du chapitre M6 du cahier des charges type « Qualiroutes » guident les réfections de voiries. 

Les opérateurs font parfois face à des exigences particulières (dépassant le Qualiroutes) dans le cadre des réfections de voiries. Quelles sont les procédures à disposition des impétrants dans une telle situation ?
En vertu du décret impétrants, les GDV ne peuvent exiger plus que la remise en pristin état, et a minima, les règles de réfection prévues au chapitre M6 du CCT Qualiroutes. Celles-ci sont, à mon sens, réfléchies pour satisfaire aux GDV. Si le gestionnaire des câbles et canalisations (GCC) se voit imposer des règles plus strictes, il doit en aviser la Commission de coordination des chantiers.
Illustration avec un extrait du CCT Qualiroutes - chapitre M6 – M.6.2.2.- exécution des tranchées – les trottoirs], « Le revêtement de l’accotement est reconstruit jusqu’aux éléments linéaires (bordures, filets d’eau) jusqu’aux maçonneries (façades, muret) délimitant la zone, si la partie de la zone affectée par la tranchée se situe à moins d’une dalle ou d’un pavé de ces éléments ou à moins de 25cm pour les revêtements bitumineux. Si le trottoir en revêtement bitumineux est en bon état et si la largeur de la réparation théorique (conforme aux coupes) est supérieure à 2/3 de la largeur du trottoir, le revêtement bitumineux est refait sur toute la largeur du trottoir. Tous les pavés et dalles descellés sont replacés ». 

Si vous êtes un propriétaire ou un gestionnaire de voiries…
Information et Consultation
Mes droits. Les propriétaires et les gestionnaires de voiries, chacun dans le cadre de procédures distinctes, doivent être informés et consultés sur les travaux prévus. 
Opposition aux travaux pour motifs légitimes
Mes droits. Tant le gestionnaire de voiries que le propriétaire ont le droit de s’opposer aux travaux de manière dûment justifiée.
Mes obligations. Dans le cas d’un refus de la part d’un propriétaire, une procédure formelle (à la suite d’une procédure informelle privilégiant un contact direct entre opérateur et propriétaire) démarre avec l’envoi au propriétaire par l’opérateur d’un courrier recommandé détaillant les travaux envisagés, lequel permettra au propriétaire d’envoyer, le cas échéant, une réclamation auprès de l’IBPT[3] dans les huit jours.

Unifiber regrette que le recours à l’IBPT ne soit accessible qu’aux propriétaires et non aux GCC. En effet quelle serait la voie envisageable pour un opérateur face à un propriétaire refusant toute installation sur sa façade (parfois par la force) sans évoquer pour autant le motif justifiant ce refus ?
Cette matière n’est pas de la compétence de la Commission et a fortiori du Comité technique…
Néanmoins considérant le déploiement de la fibre, et la Loi Télécom (art 97 et 98), l’opérateur doit introduire un dossier de demande d’autorisation endéans un certain délai. En Wallonie, cela passe par la plateforme POWALCO. L’opérateur obtient ainsi son autorisation d’exécution de chantier et l’entrepreneur son autorisation de police. Rien ne devrait alors empêcher le déploiement.
Si toutefois, un litige devait survenir, un organe de règlement des litiges (dit ORL) a été instauré[4]. Celui-ci statue entre autres sur les litiges relatifs à la coordination des travaux de génie civil en vue du déploiement d’éléments de réseaux. A ce jour, aucun litige n’a encore été présenté à la Commission, et donc aucun litige n’a encore été soumis à l’ORL.
Quels seraient les motifs légitimes pour lesquels un gestionnaire de voiries pourrait s’opposer aux travaux ? Avez-vous des exemples de procédures qui ont, in fine, fait droit au recours d’un impétrant face à un refus d’autorisation de travaux ?
Les seuls motifs valables pour refuser une autorisation d’exécution de chantier, en vertu du décret impétrants sont la sécurité, la mobilité, la salubrité et la viabilité de la voirie. A titre d’exemple, un refus pour des raisons de mobilité a été notifié récemment. La demande d’autorisation portait sur un chantier de raccordement (eaux, gaz, télécom) dans le cadre d’une rénovation d’immeuble d’habitation. Le chantier se situait dans une rue étroite, à sens unique, et servait d’unique voie d’accès au village dès lors que l’autre voirie était en pleine réfection, et que toute circulation y était impossible et interdite pendant la durée du chantier. 
A ce jour, la Commission n’a été saisie d’aucun recours. 

Respect des Servitudes et des infrastructures
Mes obligations. La coopération doit permettre un accès raisonnable au domaine public et aux propriétés pour l’installation et l’entretien des infrastructures. 
Les activités des opérateurs ne peuvent pas être entravées et ceux-ci doivent être informés par lettre recommandée de tout changement ou développement qui pourrait affecter leurs infrastructures.

En conclusion, le déploiement des réseaux de télécommunications nécessite une collaboration étroite entre toutes les parties concernées. Les droits et obligations de chaque partie sont encadrés par des lois et des règlements spécifiques pour garantir un équilibre entre le développement des infrastructures numériques et le respect des droits de tous.

Quel est votre sentiment général sur l’organisation de tels chantiers en Wallonie ? L’équilibre entre les droits et devoirs de chacun est-il réellement de mise ? Quels seraient les points d’amélioration ?
L’organisation des chantiers en Wallonie n’est a priori pas plus compliquée qu’ailleurs. Chacun envisage ses travaux en fonction de ses propres plans stratégiques, budgets ou de ses plans d’investissements. Si le décret impétrants ambitionne la coordination des chantiers, par un échange d’information optimal dès la programmation, il apparait effectivement que celle-ci doit encore entrer davantage dans les mœurs des organisations visées par ledit décret. 
Rappelons que le texte n’a « que » 6 ans, et n’a pas encore été évalué. La Commission ambitionne de faire cette évaluation dans les prochains mois, et espère poursuivre le travail entamé avec l’aide et le soutien de toutes les organisations concernées. 

[1] Voy. Rapport sur l’état d’avancement de la décennie numérique 2024, https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/report-state-digital-decade-2024.
[2] Loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques.
[3] Institut belge des services postaux et des télécommunications.
[4] Directive 2014/61/UE du Parlement européen et du Conseil relative à des mesures visant à réduire le coût de déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit